Une semaine après l’appel au rassemblement de l’opposition émis par l’ex Chef d’Etat ivoirien, une analyse à froid, sur la forme et le fond, de cet appel qui, pour le moment ne suscite pas une grande bousculade à ses portes, s’avère tout de même nécéssaire, suite à la réaction notamment de Danielle B. Claverie et Pascal Affi Nguessan.
A – SUR LA FORME
a) – Gbagbo s’est isolé tout seul.
Il est un secret de polichinelle que c’est Gbagbo lui-même qui a détruit l’opposition de gauche, par un égocentrisme caractérisé notamment par le concept du « Gbagbo Ou Rien ». En refusant de s’assoir et de discuter avec ses ex camarades de parti et de lutte politique il a contribué à discréditer toute cette opposition.
Ainsi, à ce jour, en 2024, il n’a toujours pas jugé nécessaire de donner une quelconque suite à la demande d’audience du président du FPI, Affi Nguessan. Audience pourtant formulée dès son retour en Côte d’Ivoire en 2021.
Blé Goudé, à son retour de la CPI, subira lui aussi la même sentence. Mieux, Gbagbo lui imposera l’obligation de lui adresser formellement, préalablement à une hypothétique réception, une demande d’audience. Ce qu’il fit, humblement. Cela n’y changera rien. Les portes du « paradis » du Christ de Mama lui resteront fermées.
b) – Gbagbo lance son appel au rassemblement à qui ?
Il est clair que ce n’est pas au PDCI avec lequel il est dans un semblant d’alliance politique. Il discute régulièrement avec ce parti politique. Il n’a donc pas besoin de saisir l’opportunité que lui offre un meeting de pré campagne pour s’adresser aux dirigeants de ce parti.
C’est donc clairement et principalement à ses ex camarades qu’il s’adresse, sans oser toutefois citer leurs noms. Mais, tout de même, est-ce ainsi, lorsqu’on est dans une démarche sérieuse, qu’on devrait procéder, si l’on a vraiment envie de rassembler ? Évidemment que non !
C’est Gbagbo qui a détruit l’opposition de gauche en décidant d’aller créer un autre parti politique, alors que Affi Nguessan lui proposait de prendre, sans élection, la tête du FPI pendant que lui resterait son vice-président. Affi Nguessan, son vice-président ? C’était trop lui demander. Il quittera donc le FPI pour aller créer le PPA-CI, non sans traiter le FPI de Affi Nguessan de « enveloppe vide ».
C’est encore Gbagbo qui qualifiera son ex codétenu, Blé Goudé, d’ancien compagnon et qui ne manquera aucune occasion de publiquement le discréditer. Sans que jamais, ce dernier, par respect, ne lui porte la réplique. Ce ne sont pourtant pas les occasions et surtout les arguments qui lui manquent. Blé a préféré rester grand en ne descendant pas dans la poubelle et surtout en ne donnant pas de coups en dessous de la ceinture. Respect !
C’est toujours le même Gbagbo qui humiliera devant les caméras du monde entier son épouse officielle en rentrant en Côte d’Ivoire, enlacé dans les bras de sa maîtresse, Nady Bamba.
C’est enfin Gbagbo qui, à l’occasion d’un meeting à Agboville déclarera fièrement devant ses partisans médusés qu’il n’était pas là pour unir l’opposition.
De tout ce qui précède, il ne fait l’ombre d’aucun doute que c’est Gbagbo qui porte l’entière et unique responsabilité de la déchirure de l’opposition.
Là où par exemple, l’actuel Chef de l’État, le Président Allassane Ouattara, bien qu’en bisbilles avec Soro Guillaume, n’a pas hésité à décrocher ses appels téléphoniques et à échanger avec lui. Un acte qui montre bien la grandeur d’homme politique du Président du RHDP qui, contrairement à Gbagbo, ne ferme jamais sa porte.
Lorsqu’on a, par son seul fait, volontairement désorganisé sa propre famille politique, ce n’est pas à la faveur d’un « bavardage politique » public qu’on lance un appel au rassemblement.
La crédibilité et la sincérité d’une telle démarche recommande, humblement, qu’on utilise des canaux plus officiels, inclusifs et discrets, plutôt que de se donner en spectacle pour donner l’impression à l’opinion publique qu’on est rassembleur… à ses propres conditions. Ce que ses faits, sorties politiques et paroles contredisent si éloquemment.
B – SUR LE FOND
a) – Pourquoi maintenant un appel au rassemblement ?
La réalité politique semble rattraper Gbagbo. Lui qui a mis du temps à comprendre que 1 + 1 font 2 et qu’en conséquence, face à un adversaire politique aussi redoutable que le RHDP, c’est ensemble qu’on peut être fort.
Gbagbo a aussi fini par comprendre que son combat pour son inscription sur la liste électorale ne prospéra pas s’il le mène de façon esseulée et isolée, sans le soutien de toute l’opposition soudée pour cette cause.
Cet appel n’est donc pas dénué d’intérêt personnel. Il résulte d’un calcul politique partisan et égoïste. Certains des proches compagnons de Gbagbo, après les débâcles électorales successives du PPA-CI, ont certainement dû le lui faire comprendre. Et c’est ce qui motive cet appel, surtout après la victoire du NFP lors des récentes élections législatives en France 🇫🇷.
b) – Cet appel peut-il prospérer ?
Danielle B. Claverie a été la première à dégainer lorsqu’elle a déclaré, avec beaucoup de lucidité, qu’il était bien que Gbagbo lance un appel au rassemblement mais qu’il était encore mieux qu’il ouvre ses bras. C’est profond.
Traduction : réconcilie-toi d’abord avec tes camarades de parti en les recevant et en discutant avec eux (au lieu de mandater Danon Djedjé à cette tâche) avant de prétendre au rassemblement de toute l’opposition.
Quand à Affi Nguessan, qui n’est ni dans l’exaltation de ses émotions et des ressentiments, il a fait savoir, lors de sa dernière conférence de presse, ceci :« nous ne sommes pas dans les ressentiments. Ce qui est important pour nous, c’est que nos actions politiques fassent avancer la Côte D’Ivoire… Si pour l’intérêt national, L. Gbagbo nous appelle à une action favorable, positive pour la Côte d’Ivoire, nous sommes prêts… Mon divorce d’avec Gbagbo est un divorce politique, mais il peut aussi y avoir une réconciliation politique. Et il ne faut pas être surpris ! ».
En faisant une telle déclaration, Affi Nguessan montre qu’il est dans la rationalité, contrairement à Gbagbo qui lui est dans l’émotion. Affi démontre qu’il est resté logique et cohérent dans sa saine démarche de toujours privilégier la discussion comme voie principale de règlement des différends politique.
Sauf à porter des œillères, il est de notoriété publique que c’est Nady Bamba qui fait et défait au PPA-CI. Aucune grande décision ne se prend sans son accord formel. Quand bien même officiellement elle ne figure pas dans les instances de ce parti politique.
Ainsi, quand Gbagbo demande à ses collaborateurs d’ouvrir les bras à l’opposition, de fait, c’est indirectement à elle, grande prêtresse, qu’il s’adresse, vu qu’elle déteste royalement Affi Nguessan, Blé Goudé, M. Koulibaly et, encore plus, Simone Gbagbo. Cette dernière est pourtant restée pieuse et sans rancune envers lui. Bref, elle est restée grande.
Or, fait indiscutable, c’est qu’un rassemblement de la gauche ferait perdre à Nady Bamba une bonne partie de ses pouvoirs et de son influence auprès de Gbagbo, dès lors que les décisions au sein d’une opposition rassemblée ne se prendraient plus uniquement autour d’elle, mais dans d’autres assemblées.
Est-elle prête à sacrifier ses propres intérêts immédiats et lointains, avoués ou inavoués, pour permettre, j’emprunte les mots de Gbagbo, une réunification “sincère, honnête et loyale” de l’opposition ?! Rien n’est moins sûr.
Wait and see.
Une contribution de Jean Bonin Kouadio
Juriste
N.B: Le titre est de la rédaction