Mohamed Bazoum, président du Niger renversé par un régime militaire en juillet 2023, pourrait prochainement être jugé: la justice de son pays a levé vendredi son immunité présidentielle, ouvrant la voie à un procès, ses avocats dénonçant « l’avènement de l’arbitraire ».
« La Cour ordonne la levée de l’immunité de M. Mohamed Bazoum », a déclaré Abdou Dan Galadima, président de la plus haute juridiction du Niger, créée en novembre 2023 par le régime militaire.
Les autorités de Niamey accusent le président renversé de « complot d’attentat à la sécurité et l’autorité de l’Etat »,« crime de trahison », « faits présumés d’apologie du terrorisme » et de « financement du terrorisme ».
Mohamed Bazoum est détenu depuis le coup d’Etat du 26 juillet dans la résidence présidentielle, avec son épouse Hadiza dans des conditions spartiates, sans téléphone ni droit de visite hormis leur médecin, depuis mi-octobre, selon leur entourage.
« Je ne sais même pas si le président Bazoum est au courant de la levée de son immunité. On n’a de ses nouvelles qu’à travers son médecin qui le voit deux fois par semaine. Personne ne sait dans quel état il est psychologiquement », a déclaré à l’AFP Hamid N’Gadé, son conseiller en communication.
« Cette décision cautionne de façon manifeste de graves violations des droits de la défense et annonce le déclenchement de poursuites pénales à l’encontre du président, détenu illégalement », a de son côté réagi le collectif des avocats de M. Bazoum dans un communiqué transmis à l’AFP.
« Ci-gît l’indépendance du pouvoir judiciaire au Niger. Vive l’avènement de l’arbitraire », a déploré Me Moussa Coulibaly, l’un des avocats de l’ex-président.
– « Procédure inéquitable » –
Il est notamment reproché à M. Bazoum d’avoir parlé au téléphone avec le président français Emmanuel Macron et le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken pour qu’ils l’appuient « par une intervention armée », lors du coup d’Etat.
Il lui est également reproché d’avoir affirmé « avoir libéré des terroristes et de les avoir reçus à la présidence ».
« Quelque part, cette levée de l’immunité n’est pas une mauvaise chose, à condition que les règles soient respectées. Le procès doit être public et le président Bazoum doit pouvoir se défendre lui même », a estimé M. N’gadé.
« Il a la réputation de quelqu’un de franc et direct. S’il parle, sa parole fera foi de vérité », poursuit le conseiller de M. Bazoum, « c’est pourquoi tout est fait pour qu’on ne lui permette pas de parler et de dévoiler les raisons qui ont causé le putsch ».
Jeudi soir, Human Rights Watch (HRW) avait dénoncé « une procédure inéquitable » et de « graves irrégularités ».
L’audience de vendredi avait été reportée à deux reprises, les avocats de M. Bazoum ayant dénoncé plusieurs entraves au droit de défense.
« Nous n’avons pas été autorisés à rencontrer notre client », a rappelé vendredi Me Coulibaly.
En décembre, la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) avait ordonné la libération de M. Bazoum.
La demande est restée lettre morte et le Niger a décidé en janvier de quitter la Cedeao, l’organisation ouest-africaine qui avait sanctionné le Niger après le coup d’Etat, avant de lever ses sanctions le 24 février dernier.
– Changement d’alliances –
Depuis l’arrivée des militaires au pouvoir, le Niger a changé ses alliances internationales.
Longtemps allié de la France, notamment sous la présidence de M. Bazoum, il lui a tourné le dos. Les généraux au pouvoir ont obtenu le départ des militaires français et multiplient les invectives contre l’ancienne puissance coloniale.
Ils ont ensuite exigé un départ de l’armée américaine, qui devrait s’achever en septembre. En parallèle, Niamey noue des nouveaux partenariats, comme avec l’Iran ou la Russie.
Le Niger entretient des relations au beau fixe avec le Burkina Faso et le Mali – eux aussi gouvernés par des régimes militaires après des putschs – avec lesquels il a créé l’Alliance des Etats du Sahel (AES).
Les tensions sont en revanche fortes avec le Bénin avec lequel Niamey refuse de rouvrir sa frontière.
Le régime accuse son voisin d’abriter « des bases françaises » dans sa partie nord afin « d’entraîner des terroristes » qui voudraient déstabiliser le Niger, ce que la France comme le Bénin nient.
Ces tensions ont débouché sur un bras de fer sur la question du pétrole nigérien acheminé depuis le nord-est au port béninois de Sèmè-Kpodji pour être exporté. Les vannes de l’oléoduc ont été fermées par Niamey au lendemain de l’arrestation le 5 juin au Bénin d’une équipe de cinq Nigériens venue contrôler le chargement de pétrole au port.