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[Exclusif] Téné Birahima Ouattara : « La Côte d’Ivoire n’a jamais cherché à déstabiliser le Burkina Faso »

 

Lutte contre le terrorisme, relations avec ses voisins burkinabè, Ibrahim Traoré, et malien, Assimi Goïta, élection présidentielle de 2025… Le ministre de la Défense ivoirien, dont la parole est rare, répond aux questions de Jeune Afrique.

En Côte d’Ivoire, le président Alassane Ouattara compte sur son discret mais incontournable ministre de la Défense, qui est aussi son frère, Téné Birahima Ouattara, pour sécuriser le pays. Et en particulier le septentrion, où le dispositif militaire a été considérablement renforcé, en plus du déploiement d’un vaste programme socio-économique. Si la violence des groupes armés s’est calmée depuis 2022, la vigilance reste totale pour celui que l’on surnomme « Photocopie » en raison de sa ressemblance physique avec son aîné. Interview.

Jeune Afrique : Malgré un contexte difficile, alors que les groupes jihadistes présents au Sahel se sont déplacés vers le sud, la Côte d’Ivoire n’a pas subi d’attaques d’ampleur depuis 2022. Aujourd’hui, comment évaluez-vous la menace terroriste qui pèse sur le pays ?

Téné Birahima Ouattara : La menace existe bel et bien, mais la situation est mieux maîtrisée, si on la compare à celle d’il y a deux ou trois ans. Nous effectuons une veille au quotidien pour nous assurer que les choses ne dégénèrent pas. Nous avons une frontière commune avec deux pays qui sont en proie au terrorisme, le Burkina Faso et le Mali.

Ces frontières sont difficilement tenables, mais nous résistons. Ces pays sont engagés dans la lutte contre le terrorisme au sud de leurs territoires, près de notre frontière, ce qui signifie que nous sommes, en quelque sorte, obligés de nous barricader afin que ces terroristes mis en difficulté, principalement au Burkina Faso, ne puissent pas s’installer sur notre sol et commettre de nouveaux attentats. Tout est fait pour éviter que les événements survenus à Kafolo ou Grand-Bassam ne se reproduisent.

La frontière entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso est floue et très poreuse. La question de sa délimitation est centrale dans votre politique de lutte contre le terrorisme. Comment avance ce dossier ?

C’est en cours. Nous avons un traité d’amitié et de coopération avec le Burkina Faso depuis 2016. Cette année-là, nous nous étions mis d’accord avec le gouvernement de Roch Marc Christian Kaboré pour mettre en place une commission bipartite afin d’essayer de gérer cette question très sensible.

Au début du mois de juillet 2024, ses membres se sont une nouvelle fois réunis à Abidjan. Cela évolue donc, mais pas aussi rapidement que nous l’aurions souhaité, malheureusement. Mais je reste convaincu de la volonté, de part et d’autre, d’arriver à une démarcation de cette frontière. Nous attendons très prochainement des retours de la part de Ouagadougou.

Avez-vous eu l’occasion d’en parler avec votre homologue, le général Kassoum Coulibaly, lors de votre rencontre, le 19 avril, dans une localité burkinabè près de la frontière ?

Nous en avons parlé, en effet. Nous nous sommes même convenus de nous en tenir à la démarcation actuelle jusqu’à ce que la commission bipartite puisse en proposer une nouvelle. Malheureusement, nous avons pris des engagements dans ce sens qui ne sont pas toujours respectés.

Des Volontaires pour la défense et la patrie [VDP, supplétifs de l’armée] font en effet des incursions en Côte d’Ivoire en prétextant que ce sont des localités qui appartiennent au territoire burkinabè. Nous aurions souhaité d’abord remettre les choses à plat.

Cette porosité de la frontière a notamment conduit à l’arrestation de deux gendarmes ivoiriens en territoire burkinabè, en septembre 2023. Ils sont toujours détenus à Ouagadougou. Des négociations sont-elles en cours ?

Lors de ma rencontre avec le ministre burkinabè de la Défense, nous avons en effet évoqué la question. C’est toujours à l’ordre du jour, nous continuons d’en parler.

La Côte d’Ivoire détient également un soldat et un VDP, arrêtés en mars dernier dans le nord, dans le département de Téhini…

C’est le cas. Nous pensons que nous pourrons régler tout cela de manière intelligente.

Le pays a organisé, en début d’année, la Coupe d’Afrique des nations. L’événement s’est déroulé sans aucun incident sécuritaire. Est-ce une source de satisfaction, voire de soulagement ?

Oui, et il faut remercier et féliciter les partenaires étrangers, que ce soit la France, le Maroc ou les États-Unis, qui ont apporté leur savoir-faire pour sécuriser la compétition.

Ce sont les mêmes partenaires qui vous appuient dans la lutte contre le terrorisme ?

Bien sûr, ce sont des pays présents à nos côtés en termes de formation, de renseignement et d’équipements.

La politique nationale de gestion intégrée des frontières de la Côte d’Ivoire a été récemment adoptée en Conseil des ministres. Pouvez-vous nous détailler ce plan d’action qui s’inscrit sur dix ans ?

Lorsque nous avons connu les premières attaques dans le nord, en 2020, nous avons essayé d’en analyser les raisons. Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait très rapidement sortir les localités frontalières de leur précarité, afin d’éviter que des bandes terroristes ne viennent les charmer avec des propositions qui ne les mèneraient nulle part. Le président Alassane Ouattara a donc décidé de réaliser des investissements massifs dans ces zones sensibles, en termes de profilages des routes, d’infrastructures, de dispensaires ou encore d’écoles, avec un accent sur la scolarisation des enfants et la création d’emploi pour les jeunes.

Nous avons été soutenus par l’Union européenne, mais aussi par l’Agence française de développement. Dans le même temps, il faut bien entendu apporter un maximum de sécurité dans ces zones fragiles, où se concentrent par ailleurs beaucoup de trafics. C’est une veille permanente. Ce plan s’articule également autour de la saine appréciation des limites frontalières. L’objectif est de trouver des solutions, sur dix ans, à un ensemble de problèmes afin de répondre aux besoins immédiats des habitants de ces localités.

Quelle est votre stratégie pour lutter contre le fléau de l’orpaillage clandestin dans le Nord, qui constitue une source de financement pour les groupes terroristes ?

Nous avons mis en place en 2021 le Groupement spécial de lutte contre l’orpaillage illégal, le GSLOI, composé d’éléments de la gendarmerie qui essaient de lutter efficacement contre ce phénomène. C’est un travail très difficile et de longue haleine. Ensuite, nous mettons un accent particulier sur le bétail, dont le vol et la vente permettent également de financer le terrorisme. Ils se débrouillent pour vendre le bétail et envoyer de l’argent à ceux qui sont restés au pays.

Parvenez-vous à contrôler les déplacements du bétail ?

Difficilement, mais nous y arrivons. Nous connaissons les points de passage, où nous essayons d’exercer une surveillance accrue, ce qui nous permet de limiter le phénomène.

Les opérations militaires conjointes et le partage de renseignements avec le Burkina Faso se poursuivent-ils depuis l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Traoré ?

Non, malheureusement. Nous avons sollicité à plusieurs reprises nos collègues burkinabè et nous devions tenir une réunion en juillet 2023, mais elle a été annulée au dernier moment. Nous avons toujours demandé à ce que l’on mène des opérations communes afin de nettoyer le nord de la Côte d’Ivoire et le sud du Burkina Faso. Cela donnerait l’occasion à l’armée burkinabè de se concentrer sur d’autres de ses régions, dans l’Est ou dans le Nord. En vain pour le moment, malheureusement.

Le président de la transition burkinabè a récemment accusé votre pays d’abriter un projet de déstabilisation visant son pays. Quelle est votre réaction ?

Rien ne justifie cela. La Côte d’Ivoire n’a jamais cherché à déstabiliser le Burkina, ça n’a pas de sens. Si nous faisions cela, ce serait des milliers et des milliers de Burkinabè qui se retrouveraient ici. Ce sont des incompréhensions et j’espère qu’avec le temps, elles seront levées.

La relation avec le Mali a été marquée par une crise en 2022, à la suite de l’arrestation de 49 soldats ivoiriens à Bamako, accusés d’être des mercenaires. Ils ont été libérés six mois plus tard. Le contact est-il rétabli avec Assimi Goïta ?

Les choses se sont beaucoup apaisées, nous allons de l’avant de part et d’autre. Le président Ouattara a même invité Assimi Goïta à Abidjan pour montrer à l’opinion nationale et internationale qu’en réalité, cette affaire est un malentendu. Nous attendons toujours qu’il puisse effectuer cette visite.

Par ailleurs, le président du Conseil islamique malien était de passage la semaine dernière en Côte d’Ivoire. Non seulement il a été accueilli en grande pompe, mais il a aussi tenu un meeting au stade Houphouët-Boigny, avec 25 000 personnes, preuve que les relations sont revenues à la normale. Pour ma part, je discute avec mon collègue malien [le ministre de la Défense, Sadio Camara].

Sur le plan sécuritaire, que change la création de la Confédération de l’Alliance des États du Sahel, entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali ?

Ces trois pays ont décidé de sortir de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [Cedeao], afin de créer une alliance initialement basée sur la défense de leur territoire contre le terrorisme. Je suis dans la même dynamique que les membres de la Cedeao, qui demandent leur retour. Je pense qu’on est plus forts ensemble qu’en étant isolés et que ces trois pays pourraient trouver, en réalité, des réponses à leurs préoccupations au sein de l’organisation sous-régionale.

Comment se prépare le départ des militaires français basés à Abidjan, où seuls une centaine de postes devraient être conservés ?

Tout se passe très bien. Nous avons des experts français et ivoiriens qui se penchent sur la question. Nous devrions arriver à une solution définitive d’ici à la fin de l’année, sur cette transformation du 43e BIMA, pour que nous puissions occuper ce camp et l’organiser à notre guise. Nous allons y affecter au moins cinq bataillons. Nous allons créer des centres d’aguerrissement, de formation et de communication. Nous pensons déjà à un certain nombre de choses.

Est-il exact que des négociations sont en cours pour un redéploiement de l’armée américaine en Côte d’Ivoire après son départ du Niger, et notamment à Odienné ?

Je ne suis pas au courant de négociations en cours sur cette affaire. Peut-être à un autre niveau, mais pas au mien.

L’ancien président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, condamné à la prison à perpétuité pour « atteinte à la sûreté de l’État », serait impliqué dans des opérations de déstabilisation de la Côte d’Ivoire depuis le Burkina Faso. Que pouvez-vous nous dire de cette affaire ?

Je ne peux pas vous en dire plus pour le moment.

Dans votre lutte contre le terrorisme, vous avez dernièrement créé une juridiction spécialisée.

En effet, nous nous sommes rendu compte très rapidement que cette question nécessitait la création d’une juridiction spéciale. La Côte d’Ivoire dispose d’une Académie internationale de lutte contre le terrorisme, située à Jacqueville, ce qui nous permet d’avoir sur notre sol des magistrats qui ont la qualité et la formation requise pour ce type d’affaires. Des personnes interpellées ont déjà été déférées devant cette nouvelle juridiction.

Vous accueillez de nombreux réfugiés burkinabè. Font-ils l’objet d’une vigilance particulière ?

Ils sont recensés de façon biométrique à leur entrée sur le territoire et les forces de l’ordre veillent à leur sécurité et s’assurent de savoir qui fait quoi. Dans cette mission de renseignement, ils peuvent compter sur le soutien des populations locales. Ce serait grave que des terroristes viennent se mélanger à des familles venues chercher refuge dans notre pays.

Depuis votre arrivée à la tête du ministère de la Défense, en 2021, vous avez procédé à une restructuration des forces armées. Quel bilan en faites-vous ?

J’ai une très bonne équipe, que ce soit le chef d’état-major des armées, le général Lassina Doumbia ou le commandant supérieur de la gendarmerie, le général Alexandre Apalo Touré. Ce sont des personnes de grande qualité qui ont une très bonne vision de ce que l’armée devrait être dans les cinq ou dix années à venir.

Nous souhaitons créer une armée professionnelle. C’est important pour ne pas se retrouver dans une situation similaire à celle de certains pays confrontés à des coups d’État en raison de l’oisiveté et d’un certain nombre de lacunes dans la chaîne de commandement ou à la base.

Que manque-t-il aujourd’hui à l’armée ivoirienne pour se professionnaliser ?

Nous avons encore beaucoup de choses à faire. Il faut d’abord la rajeunir. Depuis cette année, nous faisons aussi des recrutements de spécialistes, comme des informaticiens, des électriciens ou encore des mécaniciens. Notre objectif est de recruter 10 000 soldats, ce qui permettra de renouveler l’armée d’au moins 45 % de ses effectifs.

L’élection présidentielle se tiendra en octobre 2025. Le président Alassane Ouattara n’a pas dit s’il souhaitait, ou non, briguer un quatrième mandat. S’il ne devait pas se présenter, certains appellent à votre candidature, notamment dans votre région, le Tchologo. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je ne suis ni preneur ni demandeur ! J’ai une mission, qui est celle d’accompagner mon frère. S’il souhaite continuer, je l’accompagnerai. S’il souhaite arrêter, peut-être que je n’arrêterai pas et qu’à sa demande, j’accompagnerai éventuellement celui qui lui succédera. Je suis un homme de missions.

Lors d’un grand meeting, le 18 mai à Korhogo, la grande ville nordiste, vous avez appelé à ce qu’il se présente. C’est donc votre souhait ?

Tout dépend de lui. S’il est partant, nous sommes partants.

Sur le plan sécuritaire, avez-vous des inquiétudes particulières en lien avec cette élection ?

Il n’y aucune raison qu’elle ne se déroule pas bien. On entend dire que l’ancien président Laurent Gbagbo n’est pas sur les listes électorales et qu’il faut l’inscrire, je laisse le soin aux juristes de trancher cette question. Sinon, tous ceux qui veulent candidater le pourront.

 

Jeune Afrique

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